Joffrey Becker
Anthropologie
|
Humanoïdes
: Enquête sur les transformations du corps et des machines
Avec le début du XXIe siècle, un discours inquiet des
relations que nous entretenons avec nos machines a fait son
apparition. En permettant d'augmenter notre capacité à agir, la
technologie nous ferait courir le risque d'une déshumanisation
progressive, à l'endroit même où elle apparaissait constitutive
d'une singularisation de l'humain vis-à-vis des autres existants
naturels. Elle pose ainsi les bases d'une ambiguïté envers la
représentation moderne du corps et de son autonomie, telle qu'elle
s'est lentement constituée par référence à la technique et à
l'activité mécanique. Les robots humanoïdes fournissent un bon
exemple de cette ambiguïté. Ces derniers constitueraient un
formidable outil pour comprendre le fonctionnement du corps. Mais
ils formeraient également la représentation d'une manière de le
penser, redéfinissant le cadre des relations entre les sciences,
les techniques et la nature, et déplaçant les frontières séparant
les corps vivants de leurs imitations mécaniques. Cette relation
paradoxale, entre la recherche d'un savoir permettant d'étendre
l'expérience du corps humain et une altérité lui étant trop
radicalement opposée, fonde ainsi un jeu avec l'image du corps et
ses limites. Quelles sont les conditions de ce jeu ? Comment ces
images sont-elles conçue ? Comment retiennent-elles notre
attention ? Comment réagissons-nous lorsque nous y sommes
confrontés ? Et que leur imputons-nous ? La notion de performance,
malgré les problèmes que soulève sa définition, peut nous aider à
aborder ces questions, à la condition toutefois, d'en limiter la
portée à une dimension interactionnelle. En effet, en montrant une
transformation particulière, constituant autant de représentations
composites du corps humain en acte, la performance offre
l'occasion d'une réflexion située, renvoyant bien souvent aux
conditions d'existence de notre propre corps : une réflexivité,
finalement caractéristique de son esthétique, et dont peuvent
également relever les machines anthropomorphes. Cette réflexivité
encourage à orienter l'enquête sur le caractère situé de
l'expérience de la métamorphose, en insistant sur les assemblages
particuliers, à la fois humains et matériels, techniques et
esthétiques, caractérisant les situations très diverses où les
humanoïdes sont produits. Ces derniers relèvent en effet de la
sphère de la représentation, d'une anthropologie qui rapproche les
sciences et les arts à travers l'imitation de la nature. Machines
théâtrales, elles s'inscrivent dans l'espace fictionnel de la
scène, en figurant des comportements émotionnels à partir de
scripts écrits pour elles, en redoublant le paradoxe énoncé par
Diderot, en prolongeant le rêve de l'acteur total des théâtres
d'avant garde, ou en suscitant, chez le spectateur lui-même,
quelque chose des sentiments qu'elles figurent. Elles constituent
en cela des outils pour l'expérimentation. Devenant dès lors
machines à jouer, à travers les effets d'intelligence qu'ils
produisent ou les décisions qu'ils sont parfois en mesure de
prendre, les robots nous engagent à chercher dans leurs
comportements, et dans les nôtres, les manifestations d'une
ressemblance minimale, nécessaire à l'établissement d'une
communication.
Jury : M. Carlo Severi, Directeur d'études à l'EHESS (directeur),
Mme Claude Imbert, Professeur à l'ENS (rapporteur), Mme
Anne-Christine Taylor, Directeur de recherche au CNRS
(rapporteur), M. Denis Vidal, Directeur de recherche à l'IRD
(président du jury)
|